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Dépistage systématique du cancer du sein, quel compromis ? ​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​

   Dans l’état actuel des débats sur les bénéfices et les risques du dépistage du cancer du sein, c’était sans doute ce qui manquait : une synthèse des données qui permettrait de quantifier clairement les avantages et les inconvénients des mammographies systématiques. Car si les bénéfices (réduire le nombre de cancers découverts à un stade avancé et celui des décès par cancer du sein) et les risques (fausses alarmes, surdiagnostics et traitements inutiles) sont reconnus, chacun attribue ses valeurs personnelles à ces avantages

et inconvénients. Il est donc nécessaire de les quantifier. Des données existent, mais elles sont discordantes et parfois contradictoires.

 

Les trois enjeux du dépistage

 

   Le Professeur H G Welch a beaucoup contribué à l’émergence de la réflexion sur la pertinence du dépistage systématique des cancers. Il nous livre aujourd’hui une synthèse des données, les résumant dans des tableaux simples et explicites. Trois éléments ont été retenus, considérés par l’auteur comme les plus essentiels dans la prise de décision : la réduction de la mortalité par cancer du sein, les faux positifs (et biopsies en résultant) et les surdiagnostics. Ces trois objectifs ont été quantifiés pour 1 000 femmes dépistées annuellement (c’est le cas aux Etats-Unis) pendant 10 ans, en utilisant pour chaque objectif les données de l’étude la plus « optimiste » et celles de l’étude la plus « pessimiste ». Pour chaque calcul la méthode employée est explicite et peut être réutilisée, par exemple par celui qui ne serait pas d’accord avec les données exploitées pour les calculs.

 

Un risque de décès réduit de 0,3 à 3,2 pour 1 000 femmes dépistées en 10 ans

 

   Ainsi, pour la réduction du risque de décès par cancer du sein, l’essai suédois dit « des deux comtés » est clairement le plus optimiste, avec une réduction du risque de décès par cancer du sein de 31 % pour une couverture du dépistage de 85 %, portant à 36 % la réduction du risque pour les femmes adhérant réellement au dépistage. A l’autre extrême, l’essai canadien de AB Miller et coll. ne montrait aucun avantage à la mammographie systématique. Considérant toutefois qu’il est improbable qu’aucune femme ne tire bénéfice du dépistage, l’auteur admet avoir choisi arbitrairement un seuil inférieur de bénéfice de 5 % de réduction de la mortalité.

La connaissance du risque de décès par cancer du sein sans dépistage permet alors de traduire la réduction relative du risque en réduction absolue. Ainsi, pour les femmes de 50 ans qui se soumettent chaque année à une mammographie pendant 10 ans, la réduction maximale du risque de décès est de 3,2 pour 1 000 et la réduction minimale de 0,3 pour 1 000. Le même calcul donne des valeurs de 1,6 et 0,1 pour une femme de 40 ans et de 4,9 et 0,5 pour celle de 60 ans.

 

De trop nombreux faux positifs

 

   A la question de savoir combien de faux positifs sont générés par les mammographies systématiques, les deux mesures, haute et basse, sont données par l’essai de Hubbard et coll. Le risque varie selon la qualité des performances du radiologue. Le risque absolu de faux positif va de 390 pour 1 000 en estimation basse pour une femme de 60 ans, à 690 pour 1000 en estimation haute pour une femme de 40 ans. Ces faux positifs et leurs conséquences sont souvent minimisées voire ignorées, sans doute à tort : une étude récente montrait que l’anxiété générée par un résultat faussement positif persistait encore 3 ans après.

 

Le risque absolu de surdiagnostic va de 3 à 14 pour 1 000 femmes dépistées en 10 ans

 

Enfin pour le sujet brûlant des surdiagnostics, l’estimation basse est donnée par l’essai Malmö. Cet essai évalue le dépistage réalisé tous les deux ans, ce qui réduit le risque de surdiagnostic, d’autant qu’il se situe dans les années 1970 et 80, alors que la résolution des images mammographiques était nettement inférieure à celle dont nous disposons actuellement : seulement 9 % des cancers dépistés dans l’étude Malmö sont des cancers in situ, alors, qu’actuellement, c’est le cas pour 22 % des cancers du sein détectés aux Etats Unis. L’estimation haute du risque de surdiagnostic est donnée par deux récentes études observationnelles, celles de A Bleyer et KJ JØrgensen, qui suggèrent qu’environ 1/3 de tous les cancers du sein dépistés sont des surdiagnostics, allant jusqu’à 1 sur 2 si l’on ne considère que les cancers dépistés par mammographie systématique. Cela donne, pour une femme de 50 ans, un risque absolu de surdiagnostic allant de 3 pour 1 000 à 14 pour 1000 sur 10 ans de dépistage et, pour une femme de 60 ans un risque absolu allant de 6 à 20 pour 1000.

 

Une méthode volontairement transparente

 

   Les auteurs conviennent qu’ils se sont volontairement limités aux 3 principaux enjeux du dépistage systématique. D’autres avantages et d’autres inconvénients existent probablement (traitements moins agressifs, effet rassurant d’une mammographie normale, ou à l’inverse augmentation de l’exposition aux rayons, angoisse concernant le cancer). Mais force est de constater que ces éléments sont encore plus difficiles à quantifier.

Ils se justifient aussi d’avoir volontairement écarté les données des méta-analyses ou la récente revue d’experts indépendants du Royaume-Uni, toutes basées sur des essais randomisés anciens précédant les avancées thérapeutiques substantielles réalisées depuis. En toute logique, plus les avancées thérapeutiques améliorent le pronostic, moins les bénéfices du dépistage sont évidents en ce qui concerne le nombre de décès évités.

Enfin ils devancent les remarques concernant le faible bénéfice calculé. Selon eux, cela est typique des dépistages systématiques. La capacité d’éviter un cancer du sein est de toutes façons limitée par la probabilité de décès par cancer du sein, qui est inférieure à 1 % à 10 ans pour les 3 âges considérés. De même, le risque de surdiagnostic est lui- même borné par le risque de diagnostic, inférieur à 5 % à 10 ans, là encore pour les 3 âges.

 

En conclusion...

 

« Le dépistage systématique des cancers est une affaire de compromis » déclarent les auteurs en entrée de leur communication. Ce travail, qui exploite les données existantes de façon claire et donne les « plus » et les « moins » de chaque enjeu, devrait contribuer à rendre plus facile la prise de décision et aider chaque femme concernée à trouver le compromis qui lui convient. Loin de toute polémique.

 

Dr Roseline Péluchon

RÉFÉRENCES

Welch HG et coll. : Quantifying the Benefits and Harms of Screening Mammography. JAMA Intern Med. 2013; publication avancée en ligne le 30 décembre. doi: 10.1001/jamainternmed.2013.13635.

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 VOS RÉACTIONS (2)

Place de l'echographie-döppler

Le 15 janvier 2014


J'ai bien apprécié cet article qui "instruit" objectivement à charge et à décharge ce gros dossier qu'est " le dépistage systématique du cancer du sein "; s'il en confirme l'intérêt il en souligne également les limites. Un autre point (rarement évoqué ) mérite d'être soulevé c'est le coté financier : quel est le coût total du dépistage et quel est le " gain " escompté ou obtenu.
Si la mammographie à été jusqu'ici considérée comme le gold standard dans le diagnostic du cancer du sein, l'échographie-döppler, avec les appareils de dernière génération et entre les mains d'opérateurs exercés, présente à mon humble avis une performance diagnostique très honorable et à moindre coût. Le dépistage du cancer du sein par Echographie-Döppler seule peut il être envisageable ?

Dr M.Lamri 
 

Les avantages majeurs de l'échographie

Le 19 janvier 2014

Je confirme l'humble avis de mon confrère Lamri sur l'intérêt du dépistage échographique du cancer du sein. Je le pratique depuis 30 ans et puis apporter également mon humble avis. Avantages majeurs de l'échographie: inocuité totale (US contre X), indolore (pas de vraie compression), pas de surdiagnostic, coût modique, temps de contact et de pédagogie avec la patiente. Inconvénients: durée de l'examen (il est difficile d'en réaliser plus de 20 par jour), nécessité d'un médecin (et non manipulatrice) expérimenté et attentif (on dit "opérateur-dépendant"), examen non transmissible, les clichés remis à la patiente en cas de normalité ne permettant pas une seconde lecture. Je diagnostique ainsi fréquemment des cancers d'intervalle, ou des cancers passés au travers des mailles de la mammo, y compris après seconde lecture. Pour autant, à cause des inconvénients ci-dessus, l'échographie ne pourra pas devenir le "gold standard" souhaité. Le dépistage reste une affaire de compromis.

Dr Michel Granger, sénologue, Tours

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