Dr Michel Granger
Gynéco-Sénologue
Chère Madame, chère Patiente,
Tous les matins ont un soir…
Je vous annonce ma cessation définitive d’activité en tant que Gynéco-Sénologue.
Débutée en 1975 au CHU Bretonneau à Tours, il y a 47 ans ! certaines se souviendront…
Cessation redoutée, chaque année repoussée depuis 2012 – date de ma première « retraite ».
Nos liens si anciens me poussent à partager deux raisons importantes, parmi d’autres.
L’une est économique : mon transfert d’activité de Tours à Châteauroux fut un échec.
Si ma patientèle indrienne était importante - la 2ème après celle d’Indre et Loire, je n’avais pas anticipé que la très grande majorité des tourangelles ne suivraient pas à Chateauroux, ni que les indriennes continueraient à consulter à Limoges ou à Tours, spontanément ou suivant les habitudes de leur médecin. Cette fuite de patientèle hors de l’Indre est un problème ancien, désolant pour tous, en particulier la Clinique St François, naguère reconnue, et l’Hôpital de Châteauroux. Il était vain de penser stopper l’hémorragie par ma seule venue, tant il est vrai qu’inverser une tendance aussi lourde ne pouvait se faire que lentement, en transformant ce qui ne fonctionnait pas dans l’Indre, en reconstituant pas à pas un réseau performant, digne de confiance. Après trois ans d’activité stagnante, de rentabilité très faiblement positive, j’ai dû trancher !
L’autre est médicale : c’est l’échec du dépistage du cancer du sein, tel qu’organisé actuellement, et auquel je n’adhère plus.
En 1975 j’ai cru, avec mon maître et pilote Jacques Lansac, que le cancer du sein, comme celui du col de l’utérus, par exemple, était petit avant d’être gros, et donc que le traquer à son début serait gagnant et glorieux : nous allions l’éradiquer en affutant nos méthodes d’approche.
J’ai alors été Attaché simultanément dans tous les services hospitaliers concernés : en Gynécologie (Pr Soutoul), en Radiologie (Pr Rouleau), Médecine nucléaire et Ultrasons (Pr Planiol), Médecine interne (Pr Lamisse), Anatomie Pathologique (Pr Jobard). Je suis ainsi devenu le « couteau suisse » de la Sénologie tourangelle, bien que mon initiateur ait été strasbourgeois ! (Pr Ch M Gros, père de la Sénologie française).
Notre credo était alors que le cancer débute quelque part dans un galactophore, migre dans ses parois, finit par les franchir, infiltre ensuite les tissus adjacents, les ganglions et finalement métastase – foie, os, poumons… Théorie simpliste : car nous avons souvent vu le cancer « sauter des étapes », être volumineux, voire métastatique, d’emblée hors de contrôle, y compris après des formes diagnostiquées comme strictement intracanalaires au moment de l’intervention. Notre « histoire naturelle » du cancer du sein était donc fausse, à tout le moins incomplète.
La mise en place puis la généralisation du Dépistage Organisé en 2004 a rendu cette erreur de conception manifeste : dans les années qui ont suivi cette généralisation, le nombre de cancers avancés n’a pas diminué, ni le nombre de mastectomies totales, qui a même augmenté. En réalité plus nous avons amélioré nos mammo- et échographies, plus nous avons surdiagnostiqué et surtraité des « cancers » qui n’auraient probablement pas posé de problème à leur hôte, de son vivant. En d’autres termes nous avons rendu cancéreuses des femmes qui ne le seraient peut-être jamais devenues sans ce « dépistage ». Autre formulation : le dépistage ne met en évidence que des cancers d’évolution lente et peu dangereux, les plus agressifs passant hélas à travers les mailles du filet. Ce fut la fin de l’illusion du dépistage.
Ces affirmations sont confirmées et étayées dans 2 livres que je vous recommande :
– « Dépistage du cancer du sein : la grande illusion » Dr Bernard DUPERRAY,
– « Mammo ou pas mammo » Dr Cécile BOUR,
tous deux aux Editions Thierry Souccar.
Vous pourrez également consulter le site internet cancer-rose.fr, géré par le Dr Cécile BOUR.
Au terme de ces réflexions, je me résume : au militantisme tous azimuts du jeune converti, a succédé un doute croissant sur mon utilité de sénologue dépisteur. Il parait rétrospectivement absurde d’avoir organisé un dépistage sans connaître la véritable histoire de la maladie ciblée, ma grand-mère aurait ironisé : tu mets la charrue avant les bœufs !
Finalement les décisions dont je reste le plus fier sont celles qui ont épargné le bistouri – et autres traitements adjuvants – à des femmes qui ont alors conservé leurs seins. Et m’en resteront éternellement reconnaissantes.
Vous le voyez mon chemin s’est tracé entre fausses croyances et pratiques inadaptées, signe que la Sénologie n’est toujours pas mature. Cela me rappelle Jules Renard : « une fois que ma décision est prise, j’hésite longuement ». Belle devise pour un médecin, qui signifie : il existe toujours une autre (meilleure?…) réponse.
Je suis heureux d’avoir parcouru ce chemin de vie avec vos seins, chères patientes, et j’espère vous avoir rendu tout le bien qu’ils m’ont fait.
Je vous souhaite une belle vie encore, je penserai très souvent à vous.